La liberté est une fraude
LA LIBERTÉ EST UNE FRAUDE !!
OUI JE SAIS, dit comme ça, ça ressemble à une phrase du méchant Big Brother contre la gentille démocratie.
Et pourtant ...
La Liberté c'est bien, mais ...
En tant que français qui se respectent, nous aimons tous la liberté comme valeur cardinale de notre pays : Liberté, Égalité, Fraternité.
La liberté c'est beau, d'ailleurs les héros meurent pour elle. La liberté c'est inspirant, d'ailleurs Spielberg en fait des films. La liberté c'est important, d'ailleurs les leaders en font des constitutions.
Malgré toutes ces qualités, la liberté souffre d'un tout petit problème : on sent tous un peu ce que c'est, mais personne ne sait précisément la définir... de manière satisfaisante.
Est-ce un problème ? Et bien OUI ! Dans la mesure où vous pourrez toujours mobiliser le principe de "liberté" pour défendre un truc mais aussi, souvent, son contraire ... ça en fait un mot vide.
Laissez-vous entrainer dans un petit cheminement maïeutique. Demandez-vous comment vous définieriez la liberté ?
La Liberté c'est ... être libre
Un réflexe pavlovien consiste à dire : "la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Alors oui c'est stylé mais ce n'est pas une définition. Une définition obéit à une règle fondamentale : on n'emploie pas un mot dans sa définition !
Par exemple : "petit : adjectif masculin, chose ou personne de petite taille ou dimension". Vous voyez le problème ? Non ? "gentil : caractère de ce qui est gentil".
Bref, cette phrase n'est pas inutile (on y reviendra) mais en tant que définition c'est zéro.
La Liberté c'est ... le suicide
Si vous avez bien appris vos leçons, votre premier réflexe pourrait être de dire : "la liberté c'est pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, Article IV.
Il y a tout de suite un problème, il manque la notion de préservation de soi la dedans.
En effet, avec seulement cette définition, la liberté c'est un truc qui autorise à ce que je me nuise à moi même tant que je ne nuis pas à autrui (pourquoi pas) et qui interdit que je me préserve si ça nuit à autrui... Cette seconde partie est quand même délicate.
Par exemple, ce principe dirait donc que je ne peux pas refuser de donner mes organes, de mon vivant, même si ça cause ma mort, car en ne les donnant pas, je nuis à ceux qui pourraient les recevoir.
Mais on peut objecter que ce n'est pas un bon exemple car les receveurs n'ont pas le droit, non plus, de me demander ces organes ni de les recevoir (car en cela ils me nuisent).
Autre exemple plus élaboré alors : je suis en randonée, je vois un énorme rocher tomber vers moi et je n'ai que deux solutions : me dégager sur le côté (et il tuera la personne derrière moi) ou rester le prendre en plein tronche et mourir mais la personne derrière moi sera sauve.
Pour les besoins de la réflexion, on considère que les conditions physiques empêchent que je puisse me dégager ET sauver la personne derrière moi, c'est soit l'un soit l'autre. Par exemple je n'ai pas le temps de la prévenir, ou bien elle est sourde et aveugle, je ne peux pas l'attraper avec moi en meme temps que je me dégage, etc. Tout est physiquement fait pour que je ne puisse pas botter en touche avec une troisième solution. C'est vraiment un cas de dilemme théorique parfait (ce qu'on appelle une expérience de pensée).
Dans cette situation, je ne serais donc pas libre de me dégager pour sauver ma peau ? Si je me dégage je nuis à autrui puisque sans cet acte (se dégager) il serait encore en vie. Ça me semble hautement problématique, nous avons tous le droit de nous faire passer avant les autres.
Je vous renvoie à l'excellent argument du violoniste :
Dans notre Droit, nous avons la notion de "non assistance à personne en danger". D'aucuns pourraient penser qu'il s'agit justement d'un injonction à "ne pas nuire" à autrui, au péril de sa propre vie. Ce n'est pas exact, même la non-assistance à personne en danger n'est fondée que pour :
"quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours..."
Cette définition de la Liberté semble donc incomplète.
Soit elle se suffit à elle-même et en gros on devrait tous se suicider maintenant pour ne pas émettre du CO2 et ainsi ne pas nuire aux enfants. Et du coup nous violons tous la liberté chaque seconde où nous respirons, sans que ça semble nous empêcher de dormir (alors que dans Amistad quand il crie "Il faut nous libre !" on se sent plus impliqué quand même).
Soit elle ne peut être introduite qu'après le principe primordial de préservation de soi, et lui être subordonné. Ça marche mais ça veut dire que la liberté n'est plus une notion de premier ordre, ce n'est plus un principe universel, mais un principe accolé à un autre. Il faudrait écrire Préversation de soi, Liberté, Égalité, Fraternité. Pas super sexy.
Ce principe de préservation de soi se retrouve aussi dans ce qu'on nomme les Libertés Individuelles et qui se distinguent des libertés collectives. Nous reviendrons plus tard sur les limites de cette définition aussi.
La Liberté c'est ... ne rien faire
Restons sur cette définition de "la liberté c'est pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" car il y a une seconde critique à faire : ça repose énormément sur la définition de "nuire".
Si nuire c'est causer une douleur, une frustration, léser, déranger, indisposer, ... cette définition va rapidement être confrontée à des limites.
Par exemple :
- le fait que Keira Knightley couche avec un autre homme que moi, me nuit énormément
- le fait que Airbus sorte un nouvel avion nuit énormément à Boeing
- le fait que les esclaves en amérique s'échappent nuit énormément à leurs maîtres
Bref, on peut imaginer une infinité de situations où faire quelque chose nuit à autrui et ne pas le faire nuit aussi à autrui; auquels cas on ne serait ni libre de le faire, ni libre de ne pas le faire.
Et en fait c'est pire que ça : pour n'importe quel acte posé, on peut imaginer qu'il nuit à quelqu'un quelque part dans le monde. Chaque fois que vous faites quelque chose de positif pour quelqu'un, vous nuisez à ses ennemis, chaque fois que vous faites quelques chose de négatif, vous nuisez à ses amis.
Je vous renvoie à cet épisode génialissime de la série The Good Place où nos héros se rendent compte que plus personne n'a intégré le paradis depuis 500 ans car chaque acte posé, dans le monde moderne, a des conséquences mauvaises :
Donc si on s'en tient strictement à cette définition, la liberté c'est un truc très clair mais qui n'existe juste pas dans notre monde : nous ne sommes libres de rien puisqu'aucun de nos actes ne pourrait satisfaire la condition de la liberté (ne pas nuire à autrui) et notre absence d'acte non plus.
La Liberté c'est ... un peu chacun qui voit
Bien, là, une partie d'entre vous se disent "nan mais ça va les psychorigides là, "ne pas nuire" ça donne une indication générale, une voie, c'est pas la peine de chercher tous les cas extrêmes, on comprend le principe".
Et effectivement, on pourrait estimer que "nuire" peut être vu comme un principe aux bords flous et qu'il conviendrait de faire preuve de "discernement", au cas par cas, pour savoir s'il y a eu nuisance ou non.
C'est déjà ce qu'on fait en Droit avec certains principes comme la proportionnalité par exemple. La loi dit que la collecte de données personnelles doit obéir au principe de proportionnalité (ne pas demander votre revenu d'imposition si vous êtes juste venu vous faire couper les cheveux par exemple). La proportionnalité c'est pas un truc défini de manière absolue, c'est subjectif, donc c'est aux magistrats de "juger", au cas par cas, si la proportionnalité est ou n'est pas respectée dans tel ou tel cas.
Ça existe, ça marche, ok. Sauf que ...
Dans ce cas, si la liberté est un truc subjectif alors ce n'est plus un concept "universel". Tout le monde aura SA vision de la liberté car tout le monde ne jugera pas de la même manière ce qui nuit ou non à autrui. Selon votre culture, votre religion, votre milieu social, vous aurez une vision différente de ce que signifie la liberté.
Alors oui c'est sûr que c'est difficile d'avoir des définitions vraiment universelles, mais c'est pas non plus très dur de trouver des trucs plus universels que ça.
Prenez un concept comme "ne pas tuer" par exemple. Bon y a pas de définition complètement universelle : est-ce qu'un virus c'est vivant ? dans certaines religions la Terre c'est vivant, etc. Mais grosso merdo, vous allez à l'autre bout de la planète, et vous dites "ne pas tuer", les gens comprennent la même chose que ce que vous avez voulu dire.
Alors que si vous dites "ne pas nuire" ... ben dans un pays où l'on pratique le mariage forcé, ils ne vont pas considérer qu'ils nuisent à l'épouse. Donc il y aura des décalages importants entre ce que vous avez voulu dire et ce qui a été compris.
Autre incohérence/bizarrerie de cette définition. On ne peut pas réclamer LA liberté mais seulement "plus de liberté".
En gros si un moment vous n'êtes pas d'accord avec l'état de la liberté dans votre nation et que vous sortez manifester, c'est que des choses sont interdites alors qu'il vous semble qu'elles devraient être permises.
Donc des choses sont induement considérées comme nuisibles à autrui alors qu'elles ne le sont pas (d'après vous) : vous voulez, en fait, redéfinir ce qui est considéré comme nuisible.
Mais y a t'il un sens alors à sortir avec un panneau "Liberté" brandi dans vos bras ? De la liberté, vous en avez, mais vous êtes en désaccord avec ses contours (le fameux "là où elle s'arrête").
Il faudrait plutôt défiler avec un panneau "le vote des femmes ne nuit pas à autrui", "le mariage homosexuel ne nuit pas à autrui", ou encore "ne pas se faire vacciner ne nuit pas à autrui".
Donc si jamais cette définition de la liberté (ne pas nuire à autrui) vous satisfait, vous conviendrez qu'il est absurde (un peu) de défiler avec un panneau "Liberté". Pourtant, gageons que certains qui le font adhèrent à cette définition.
La Liberté c'est ... une absence
Laissons de côté ces définitions historiques et optons plutôt pour une définition plus littéraire : "la liberté c'est l'absence de contrainte".
C'est notamment comme ça qu'on la verra définie dans plusieurs dictionnaires.
Premièrement, remarquons que la liberté est définie comme un "état". Ce n'est pas une action. Ça servira plus tard.
Cette définition va apparaitre comme plutôt performante dans un premier temps.
On peut penser tout de suite à des contraintes géographiques par exemple : si on vous empêche de sortir de cette cage ou de cette prison, vous subissez effectivement une "contrainte", vous n'êtes donc pas libre. Avec cette définition, un esclave n'est pas libre, un prisonnier n'est pas libre.
Et là ça apparaitrait plus logique de défiler avec un panneau "Liberté", on ne parlerait pas juste d'obtenir une redéfinition de ce qui nuit à autrui mais de lever une contrainte.
On peut aussi imaginer des contraintes dans les possibilités : on vous empêche de pratiquer un acte (par exemple voter), une activité, une profession, on vous empêche de porter certains vêtements, ...
Ou inversement on vous force à subir un acte (viol), à exercer une activité, une profession (travailler dans les champs de coton), on vous impose des vêtement, ...
Dans les deux cas vous subissez effectivement des contraintes, vous n'êtes donc pas libre. Avec cette définition, l'esclave n'est pas libre, la femme des années 20 n'est pas libre, etc.
Et en fait la contrainte géographique abordée plus haut n'est qu'une sous-catégorie de ces contraines de possibilité : on vous empêche d'aller à un endroit ou bien on vous force à demeurer à un endroit.
A priori ça a l'air de bien tenir la route ce truc. Mais il y a, selon moi, 3 problèmes avec cette définition. Du moins grave au plus grave.
La Liberté c'est ... un ménage à trois
Le premier truc qui est étrange c'est que si une contrainte est exercée sur nous, c'est qu'il y a quelque chose qui exerce cette contrainte, il y a un agent contraignant.
Pourquoi c'est étrange ? Et bien parce que la représentation que l'on se fait traditionnellement du sujet de la Liberté, c'est que c'est un problème à 2 objets : moi et la liberté. Il y a moi qui essaye de conquérir ma liberté. Tout se passe entre moi et cette notion, vague mais belle.
Or, la définition de l'absence de contrainte nous force à voir le problème avec 3 objets : la ou les personnes contrainte(s), la contrainte, le(s) agent(s) qui exerce(nt) cette contrainte.
En fait, d'après cette définition, on ne réclame pas "la Liberté", on réclame "La Liberté à quelqu'un", celui qui nous en prive par ses contraintes. Lorsque je manifeste pour ma liberté, je réclame en fait, à une entité identifiée (une personne, une organisation, un état, une société), de lever une contraine qu'elle exerce sur moi.
Là vous vous dites peut être que "oui ben c'est évident et alors ?"
Alors premièrement je pense que vous m'accorderez que, si on vous avait demandé si la Liberté est une affaire tripartite, ça vous aurait un peu étonné (parce que vous n'utilisez jamais le terme tripartite mais aussi parce que c'est étonnant). Peut être est-ce le signe que cette définition ne colle pas complètement à l'idée intuitive que l'on se fait de la Liberté.
Deuxièmement, vous conviendrez aussi, peut être, que lorsqu'il est question de personnes qui luttent pour la liberté, on ne mentionne souvent que deux des trois parties. On omet la contrainte ou l'agent contraignant.
Je prends quelques exemples :
La REF :
«... depuis que le monde est monde, des hommes et des femmes se sont engagés avec courage, souvent par les armes, pour défendre ou conquérir leur liberté. De Toussaint Louverture pour l’abolition de l’esclavage (sur qui et par qui ?), à Malala pour l’éducation des filles (contre qui ?), en passant par Olympe de Gouges pour l’égalité des femmes (empêchée par qui?), Nelson Mandela pour la fin de l’apartheid (sur qui et par qui ?) ou encore Rigoberta Menchu pour la voix des peuples autochtones (contre qui ?), et bien sûr tous les résistants contre le nazisme (qui exerçait quoi et sur qui ?)…
Nelson Mandela, l’un des symboles de la lutte pour les droits de l’Homme le plus connu de notre époque, est un homme dont le dévouement à la liberté de son peuple (contre qui ?) a inspiré les défenseurs des droits de l’Homme du monde entier
Amnesty :
« Elle s'est assise pour que nous puissions nous lever ». C'est ainsi que le révérend Jesse Jackson évoque l'action de Rosa Parks au lendemain de son décès. Cinquante ans plus tôt, cette couturière noire militante du Mouvement des droits civiques, en s'asseyant délibérément à une place réservée aux Blancs dans un autobus de l'Alabama, déclenche avec Martin Luther King dix ans de protestation non-violente contre la ségrégation (exercée sur qui et par qui?).
Il ne s'agit pas d'une démonstration, parfois tous les acteurs sont mentionnés. Mais il y a tellement de cas où ce n'est pas fait, que j'ai grandement l'impression que la dimension tripartite de la Liberté n'est pas du tout intuitive quand on parle de ce sujet.
Ça ne veut pas dire que la définition est mauvaise, elle pourrait très bien être bonne et simplement ce serait le concept qui serait mal employé par les gens en général. Ou peut être même qu'ils ne l'emploient pas mal mais qu'ils considèrent juste que des parties peuvent être omises car elles sont évidentes.
C'était quasiment un détail mais je voulais attirer votre attention dessus. La Liberté n'est pas un état que vous pouvez atteindre en vous-même, c'est quelque chose que vous devez obtenir d'autrui.
Une phrase comme "j'ai décidé de vivre libre" est donc un peu creuse. Vous n'êtes libre que si les autres décident de s'abtenir de vous contraindre.
Personne n'est libre
La liberté c'est l'absence de contrainte. Le detenu ne peut pas aller où il veut ni faire ce qu'il veut donc il n'est pas libre. L'esclave ne peut pas aller où il veut ni faire ce qu'il veut donc il n'est pas libre.
Mais nous, le sommes-nous ?
Si je décide d'aller dans le bunker secret du Pentagone, on va m'en empêcher, on va contraindre mes possibilités d'aller où je veux. Pareil si je veux rentrer dans la maison d'inconnus qui ne m'y ont pas autorisé. Donc je ne peux pas dire que je peux aller où je veux, il y a des exceptions.
De la même manière, je ne peux pas faire tout ce que je veux. Si je décide davoir un rapport sexuel avec Mike Tyson et qu'il n'est pas consentant, il va m'en empêcher. Pareil si je décide de tirer au Bazooka sur l'Assemblée Nationale, on va m'en empêcher. Donc je ne peux pas dire que je peux faire ce que je veux.
Et du point de vue du prisonnier. En fait lui aussi c'est affaire d'exceptions. Il n'a pas le droit d'aller au delà des murs de l'enceinte, certes, mais quand il est dans la cours, il se promène où il veut. Il ne peut pas faire tout ce qu'il veut (genre faire du tir à l'arc) mais hormis ces (nombreuses) exceptions, quand il est dans sa cellule, s'il veut faire des pompes, lire un livre ou chanter, rien ne l'en empêche.
En fait ce qui nous sépare d'un esclave ou d'un prisonnier ce n'est pas qu'ils ont des contraintes et pas nous, c'est seulement le nombre de contraintes.
Donc soit la liberté c'est toujours l'absence de contrainte, et dans ce cas personne n'est libre. Soit la liberté est un "gradient" (une échelle à plusieurs degrés) et alors la définition se trompe.
Dans ce second cas, on retrouverait aussi les problèmes liés à la définition d'une liberté comme étant "ce qui ne nuit pas à autrui". Si la Liberté est un gradient (au dela d'une certaine accumulation de contraintes, on n'est plus libre), alors la définition de la liberté va considérablement varier d'une personne à l'autre.
Selon notre culture, notre religion, notre milieu social, etc., le point de bascule entre "libre" et "esclave" ne sera pas le même. Et donc ce n'est plus quelque chose d'universel.
Est-ce grave de ne pas être un concept universel ? Pas forcément. Mais bon si on doit le graver sur toutes nos mairies et mourir pour lui, ce serait bien qu'il ait un minimum d'envergure quoi, et qu'il apporte une quantité de sens un peu plus importante que :
Certains d'entre vous se remémorerons peut être des débats qu'ils ont pu avoir où ils défendaient que telle chose était une privation de liberté. Il y a toujours quelqu'un pour répondre que "Ho ça va, va en Corée du Nord, tu vas voir ce que c'est de ne pas être libre".
Peut être que la frustration d'une telle réponse vous remplit encore d'amerturme.
Au final d'où vient cette frustration ? Du fait que vous défendiez alors la liberté comme un concept graduel (qui d'après vous avez été dégradé par une mesure) et que votre interlocuteur vous a répondu comme si la liberté était un concept binaire (soit on est libre soit on est coréen du Nord).
Et c'est notamment pour ça que ce mot est merdique tellement il est imprécis, car sur le moment on ne comprend pas soi même où ça cloche, alors qu'on sent bien que le contre argument n'est pas valable.
Cet exemple montre aussi que, dans l'usage, il semble y avoir des personnes qui penchent intuitivement vers une définition graduelle et d'autres vers une définition binaire. Nous n'arriverons donc probablement pas à une définition finale qui fasse dire à tout le monde "Ah voila c'est ça la liberté !".
Ce que la Liberté n'est pas
Le dernier truc qui est moisi, et pas des moindre, c'est que cette définition ne vous dit pas ce qu'est la liberté, elle vous dit ce que la liberté n'est pas : un état de contrainte.
Donc la liberté est définie de manière négative : ce n'est pas quelque chose qui existe, c'est l'absence de cette chose.
De prime abord on dirait que ça importe peu : l'ombre c'est absence de lumière, l'immobilité c'est l'absence de mouvement, etc. et on comprend très bien ce que ça veut dire.
Sauf que...
Les mots qui se définissent comme l'absence d'un autre concept n'existent pas par eux-même. Par exemple, je peux définir la lumière comme étant un phénomène : la propagation de photons dans une certaine longueur d'onde. Par contre, je ne peux pas définir l'ombre sans faire appel au concept de lumière. L'ombre n'existe que parce que la lumière existe. La lumière, elle, n'a pas besoin de la notion d'ombre pour être définie.
Pareil pour l'immobilité, qui, comme son orthographe le montre, n'est que l'absence de la mobilité.
Quelque soit la richesse et la complexité d'un phénomène, qu'il faille des dizaines d'informations pour définir précisément ce "ça", définir son absence n'apportera toujours qu'une seule information : c'est quand "ça" n'est pas.
La substance, la vraie teneur, le sens, etc., sont contenus dans le "ça".
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Petit apparté : il ne faut pas confondre les mots qui définissent "l'opposé de" (le revers de la pièce en somme) et ceux qui définissent "l'absence de" (quand la pièce n'est pas là du tout).
Pour le cas de l'opposé, il peut y avoir une richesse égale dans les deux termes et il est alors difficile de savoir lequel est le principe primaire et lequel est l'opposé : "l'égalité" c'est quand il n'y a pas de différence, la "différence" c'est quand des choses ne sont pas égales.
Par exemple, en Esperanto, les opposés sont construits avec le préfixe "mal-" : feliĉa (heureux), malfeliĉa (malheureux), rapida (rapide), malrapida (lent). Et en Esperanto, contrairement aux autres langues, c'est systématique, il y a 0 exception, et ça marche pour les noms, les verbes, les adjectifs, les adverbes.
Quelle n'avait pas été ma surprise, quand j'apprenais cette langue, de découvrir qu'on disait : fermi (fermer), malfermi (ouvrir). Intuitivement j'aurais pensé que le concept d'ouverture était le concept primaire. L'ouverture c'est la communication entre deux espaces, la continuité. Et la fermeture c'est le fait de couper ça. Mais le créateur avaient estimé qu'on ne peut ouvrir que ce qui est fermé (en français la définition de ouvrir fait d'ailleurs intervenir la notion de "clos").
Voilà voilà voilà.
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Bref, mon côté puriste se satisfait mal qu'on utilise un privatif comme concept universel. En somme avec cette définition, la notion qui "existe" c'est celle de contrainte. C'est ça qui est un phénomène, qui est quelque chose qu'on peut observer, ressentir, exercer.
La Liberté c'est le nom quand la contrainte n'est pas là. C'est une absence de quelque chose qui, lui, existe, donc c'est un vide.
Conclusion : c'est de la merde.
La Liberté c'est ... une partie de la Liberté
Mais il n'y a pas que les définitions des dictionnaires. Nous pouvons aussi explorer des définitions "philosophiques". Comme par exemple : "la Liberté c'est le Droit".
Les auteurs partageaient peut être mon aversion pour les approches privatives. Avec cette définition, la Liberté est quelque chose de positivement défini : ce n'est pas l'absence de quelque chose, c'est quelque chose ! À savoir le droit.
Alors pourquoi le Droit ? Et bien parce que ça marche assez bien, vous allez voir, enfin ... jusqu'à un certain point.
"Être libre de" c'est (souvent) équivalent à "avoir le droit de". Exemples :
- être libre de courir = avoir le droit de courir,
- être libre de travailler = avoir le droit de travailler,
- être libre d'aller où bon nous semble = avoir le droit d'aller où bon nous semble,
- être libre de ses mouvements = avoir ... heuuu j'ai dit souvent, j'ai pas dit tout le temps.
Avec cette approche, nous ne sommes pas "libres" tout court, nous sommes "libres de" suivi d'une suite de trucs qu'on nous a "autorisé", "permis", "accordé" ... bref qu'on a le "droit" de faire quoi.
Et du coup la "Liberté" c'est la somme de tous ces droits, de toutes ces autorisations. Et la somme de tous les droits c'est LE Droit.
Bon ... souvent le premier droit c'est qu'on a le droit de faire tout ce qui n'est pas explicitement interdit. Donc rapidement cette approche positive, se retransforme en une démarche basée sur l'absence d'interdiction : les droits c'est tout ce qui ne nous est pas interdit (on revient vers les travers de "l'absence de contrainte").
Mais le premier problème est sémantique : on dit communément que la Liberté est "un droit". Comme par exemple dans la déclaration des droits de l'Homme :
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression
Donc la Liberté peut-elle être à la fois un droit et le Droit (la somme de tous les droits) ? Si la Liberté est "un" droit, et que la Liberté c'est "le" Droit, alors la Liberté est une partie de la Liberté ... pas génial vous en conviendrez.
Mais bon, rien ne dit que les révolutionnaires aient eu raison de la définir comme "un" droit. Par contre, on l'utilise comme ça dans le vocabulaire courant.
La Liberté c'est ... un autre truc qu'on ne sait pas bien définir non plus
Il y a une distinction non triviale en droit c'est celle entre "droit-liberté" et "droit-créance".
Le droit-liberté c'est ce que vous êtes autorisé à faire, ce que personne ne peut vous interdire. Par exemple vous avez le droit-liberté de porter des chaussures jaunes fluo : personne n'est fondé à exiger que vous les enleviez si vous en portez.
Le droit-créance c'est quand vous avez droit à quelque chose.
Par exemple le droit à la sécurité, c'est pas juste que si vous êtes en sécurité, personne ne s'y opposera. C'est qu'on vous doit le fait d'être en sécurité. Ce "on" (généralement l'État, la société) doit réaliser les conditions effectives de ce droit. Et si vous n'êtes pas en sécurité, on dira que ce "on" est en faute vis-à-vis de vous. Si vous avez tiré une étiquette du Monopoly MacDo qui vous donne droit à un McFlurry gratuit, personne ne peut s'opposer à ce que vous ayez un McFlurry gratuit ET MacDo vous doit ce McFlurry gratuit.
On nomme aussi ce type de droit, un droit opposable. Par exemple, en France, on a le droit à l'instruction qui est un droit opposable : non seulement si vous voulez vous instruire, personne n'est fondé à vous en empêcher, mais en plus si vous voulez vous instruire, l'État doit vous fournir les moyens pour le faire (l'école, etc.).
Ce n'est pas forcément connu mais le droit au travail et au logement sont aussi des droits opposables. Historiquement, si vous ne trouviez pas de travail ou de logement, c'était la responsabilité de l'état de vous en fournir un. C'est notamment pour ça que le chomage de masse et le nombre énorme de SDF sont clamés être des injustices scandaleuses dont l'État est coupable.
Or, pour tous ceux qui ignorent l'existence de cette seconde catégorie de droit, cette revendication est souvent ressentie comme abusive.
Pourtant, la notion de droit opposable au logement est bien explicitement présente sous forme de Loi (notamment via le dispositif DALO) :
Loi n° 90-449 du 31 mai 1990, Article 1 :Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir et pour y disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques.
C'est en vertu de ce droit opposable que l'État est considéré comme étant en faut permanente tant qu'il existe des SDF non volontaires. En fait, pour un gouvernement, l'objectif 0 ZDF, c'est pas une bienfaisance particulière, c'est censé être simplement le respect de ses obligations.
La notion de droit opposable au travail n'est pas aussi clairement présente dans notre Droit. Plusieurs textes important y font référence comme le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (reconnu par notre Constitution) : Article 5 : Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme de l'ONU (signée par la France) : Article 22-1 : Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
L'indemnité chomage n'étant historiquement pas un "cadeau" ou une "générosité" de l'État, mais une compensation pour sa défaillance à vous trouver un emploi.
Je vous renvoie à une vidéo de Monsieur Phi sur la distinction de ces deux droits/libertés : notamment est-ce qu'on peut dire que vous êtes "libre d'avoir un yatch de 38 m de long" si vous n'avez pas de quoi vous l'offrir ?
Mais pourquoi je parle de ça ?
Premièrement, on voit que la notion du seul mot "droit" n'est pas très précise. Si je dis simplement "j'ai le droit de me rendre à Paris", il y a ambiguité : on ne sait pas s'il s'agit d'un droit-liberté (je suis autorisé à me rendre à Paris) ou d'un droit-créance (j'ai droit aux moyens me permettant de me rendre à Paris).
Donc si la Liberté, c'est le Droit, ben la liberté reste une notion sujette aux ambiguités. Ce qui n'est pas top.
La Liberté c'est ... la partie liberté du droit
Deuxièmement, on voit que cette distinction droit-liberté / droit-créance est quand même bien utile. Or si on dit que la Liberté c'est le droit, est-on capable de retrouver la même nuance dans la notion de liberté ? Ou, au contraire, est-ce que la Liberté, en fait, ce ne serait pas que la partie "droit-liberté" du Droit, c'est-à-dire ce qu'on est "autorisé" à faire ?
Il y a indéniablement une équivalence quasi-parfaite entre la notion de "libre de" et le droit-liberté :
- vous êtes libre de vous marier = vous êtes autorisé à vous marier
- vous êtes libre d'acheter d'acheter des fleurs = vous êtes autorisé à acheter des fleurs
- vous êtes libre de courir = vous êtes autorisé à courir
Il y a quand même quelques trucs mineurs où ça va être bizarre. Par exemple un tétraplégique a le droit de courir, c'est juste qu'il ne le peut pas physiquement. Mais si on disait "il est libre de courir", ça sonnerait de manière incongrue à nos oreilles. Donc l'équivalence ne semble pas être à 100%.
Maintenant, comment fonctionne l'équivalence avec le droit-créance ?
- J'ai le droit à un logement = je suis libre d'avoir un logement ?
- J'ai le droit aux soins = je suis libre d'obtenir des soins ?
- J'ai droit à un McFlurry gratuit = je suis libre d'avoir un McFlurry gratuit ?
Ça marche pas très bien hein ?
Ceci me semble prouver que la Liberté n'est pas tout le Droit. Au maximum, elle recouvre le droit-liberté (ça porte bien son nom).
Donc la Liberté c'est seulement la partie "être autorisé à".
La Liberté c'est ... l'autorisation
"Être autorisé à" ça fait aussi intervenir un troisième agent, comme dans le cas de "ne pas être contraint". Il y a moi, l'autorisation et la personne qui m'autorise. "Y est autorisé à faire Z" sous-entend en fait que "Y est autorisé, par X, à faire Z".
Mais surtout, c'est une voix passive : "Y est autorisé, par X, à faire Z", ça veut en fait dire que "X autorise Y à faire Z" (voix active).
Donc la Liberté n'est pas un vrai concept, c'est seulement la voix passive du concept d'autorisation. On ne doit pas dire "La Liberté guidant le peuple" mais "L'autorisation guidant le peuple".
C'est sûr c'est moins sexy :
Et ça fait un peu chier de mourir pour l'idée d'autorisation. On se sent infantilisé.
Et pourtant c'est fondamentalement bien raccord avec l'apparition des notions de Liberté et de Droit. Une homme tout seul sur une île, n'a besoin d'aucune loi et il est 100% libre (au sens droit-liberté).
Il n'y a besoin d'aucune loi car il ne peut faire de tort à personne (voler, violer, tuer autrui) car il n'y a personne d'autre. Et il n'a besoin d'aucun droit (respect de la propriété, de son intégrité physique, etc.) car personne ne peut lui nuire (hormis la nature) et il n'y a personne pour lui interdire des trucs.
Il faut des lois, des droits, des libertés, etc. dès lors qu'il y a au moins deux humains. Ceux-ci vont convenir d'une notion virtuelle englobante, l'état, la société, via laquelle ils définieront les limites de leurs actions, les limites autorisées, et s'y soumettront.
Et d'ailleurs, dirait-on que l'on est libre de faire Z si l'état nous y a autorisé mais que notre voisin nous l'interdit ? L'État dit que je suis autorisé à aller me promener dans la forêt mais BIM ! mon voisin me plaque au sol dès que j'essaye d'aller dans la forêt.
Suis-je "libre" d'aller dans la forêt ? Dans les fait non. On peut dire que je suis autorisé à y aller que si tous les autres acteurs du monde (la nature comprise ?) m'y autorisent.
C'est pourquoi la Loi stipule souvent très tôt dans ses principes que "Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas". Donc en fait mon voisin n'est pas autorisé à ne pas m'autoriser d'aller dans la forêt, si la Loi me l'a autorisé.
En somme
Nous avons vu que, quelque soit la définition du mot Liberté, ça ne semble jamais être quelque chose qu'on peut universellement "revendiquer" ou "conquérir".
Soit c'est trop subjectif et chacun en a une définition différente : quand vous revendiquerez votre liberté, d'autres y verront seulement de l'égoïsme.
Soit c'est en fait une façade pour un autre concept : l'interdiction ou l'autorisation. Et revendiquer sa Liberté, c'est en fait juste demander à quelqu'un d'autre d'arrêter de faire quelque chose (l'esclavage) ou de nous autoriser à faire quelque chose (le vote des femmes). Ce n'est pas le rapport d'un humain à une valeur universelle, c'est une négociation entre deux humains (ou groupes d'humains).
Le problème de ces multiples définitions imparfaites de la Liberté, c'est qu'on peut se revendiquer de ce principe qu'on soit dans un camp ou dans celui d'en face.
Prenez le cas des vaccins obligatoires contre des maladies transmissibles (rougeole, etc.). Un "camp" peut se revendiquer de la liberté au nom du droit à l'inviolabilité de son corps (refuser qu'on lui injecte quelque chose contre sa volonté). Le camp d'en face peut se revendiquer de la liberté au nom de son droit à la sécurité (ne pas être mis en danger par autrui lorsqu'on sort dans l'espace public).
Donc l'utilité du concept de Liberté est presque nulle en tant qu'argument.
Et j'aurais pu faire le même développement sur la notion super bancale de l'Égalité. Prenez deux personnes, l'une gagne 1 000 000 € par an et l'autre 10 000 €.
Si les deux payent 5 000 € d'impôt, il y a égalité (égalité de la somme dépensée).
Si les deux payent 5% d'impot (50 000 € pour la première et 500 € pour la seconde), il y a aussi égalité (égalité de l'effort).
Les deux situations peuvent se cacher derrière la notion d'égalité, pourtant, on sent bien que les deux situations ne sont pas aussi légitimes l'une que l'autre.
Il se peut que ça ne vous pose aucun problème et que ces définitions vous conviennent. Moi, ça me semble manquer d'envergure pour des mots inscrits dans la devise de la République et pour lesquelles des gens ont donné leur vie, partout sur Terre.
Il me semblerait plus naturel qu'il s'agisse de concepts universellement partagés et qui englobent notre condition d'humain.
Or, quand deux définitions contraires apparaissent comme également légitimes, c'est souvent que le sujet est en fait mal posé.
Qu'est-ce qu'un sujet mal posé ? C'est une question syntaxiquement correcte mais qui n'a pas de sens. Soit parce qu'elle n'est pas assez précise, soit parce que des concepts sont mélangés.
Par exemple : "Quel âge avait Rimbaud ?", "De quelle couleur est mercredi ?"
Et il me semble en fait que les notions de Liberté et d'Égalité sont trop imprécises et qu'elles chevauchent, chacune, plusieurs trucs diférents, qui auraient mérité des mots à part entière, pour nous aider à mieux penser.
Et d'un autre côté, ces deux notions semblent aussi n'être que des masques d'un concept plus fondamental, qui les englobe, qui est celui de justice.
Les actes "justes" sont des actes que nous devrions être autorisé à accomplir (puisqu'ils sont, de fait, légitimes) et les actes injustes sont ceux à interdire.
Les différences injustes entre les gens devraient être interdites (celui né dans une famille pauvre ne devrait pas avoir moins de chances que celui né dans une famille riche par exemple). Mais les différences justes devraient être autorisées (celui qui travaille plus dur que son voisin devrait recevoir plus).
Et, d'ailleurs, les oeuvres de philosophie politique les plus infuantes, ne parlent pas directement de liberté ou d'égalité mais bien de justice comme concept cardinal.
Je pense par exemple à la "Théorie de la justice" de John Rawls :
Le sujet n'est alors plus de se démander si nous sommes libres (ou assez libres) ou égaux mais si notre situation est "juste".
Ce qui renvoit derrière au concept de la morale (les règles qui définissent ce qui est juste ou non). Et ce sujet fait notamment des avancées par inintéressantes ces dernières années :
Le mot de la fin sera donc : remboursez les coûts d'opportunité des autres ^^ (il faut avoir vu la vidéo ci-dessus).
Bonus
Malgré toutes les critiques que j'ai émises, il y a une piste de définition de la liberté, que je ne discrédite pas complètement et qui me semble, possiblement, être au niveau.
Cette définition se base sur la notion de "ne pas nuire à autrui". Mais elle offre une "méthode" qui semble pouvoir déterminer un peu plus objectivement s'il y a nuisance à autrui. Au contraire de la définition de "nuisance", propre à chacun.
Cette méthode m'est venue à l'esprit d'après la suite de l'article 4 de la déclaration des droits de l'Homme :
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits.
Premièrement, définissons les droits naturels : c'est un concept qui veut que les humains aient des droits, tous les mêmes, du seul fait qu'ils sont humains. Donc des droits invariants dans le temps : droit à la vie, droit à la propriété, etc. Par opposition au droit "positif" qui, lui, dépend des circonstances.
Par exemple le droit de conduire une voiture, ce n'est pas intemporel. Ça n'avait aucun sens avant l'invention de la voiture et ça n'en aura plus quand elle aura disparu. Cette distinction droit naturel / droit positif, c'est notamment le modèle Français, mais ce n'est pas celui utilisé par tous les pays.
En fait la partie "... assurent aux autres [...] la jouissance de ces mêmes droits" pourrait permettre de définir une limite objective à ce qu'est "nuire à autrui". On pourrait considérer qu'un acte de A nuit à autrui lorsqu'il implique qu'autrui est, par cet acte, diminué, par rapport à A, des droits qu'il peut exercer.
Comme il s'agit, dans la phrase, de droits naturels, les droits de A sont les mêmes que ceux de tous les autres humains.
Mais justement, si l'on ne considerait pas les droits naturels mais les droits tout court. Alors les droits de A ne sont pas forcément les mêmes que ceux des tous les autres. Et là, ça devient très intéressant.
Mais précisions tout de suite que ce que nous allons développer maintenant n'est pas, de fait, ce qu'a voulu dire l'auteur de l'article 4, puisqu'il y parlait de droits naturels.
La définition de la Liberté serait donc, grosso modo, de "pouvoir faire tout ce qui ne retire aucun droit à autrui, par rapport à ceux que l'on possède soi-même".
Pour se convaincre de la solidité ou de la fragilité d'une telle définition, nous devons la confronter à des cas "évidemment" légitimes pour lesquels une bonne définition devrait conclure selon notre intuition : est-ce qu'un esclave peut refuser les ordres de son maître au nom de la Liberté ? (on espère que oui) Est-ce qu'une femme peut revendiquer le droit de vote au nom de la Liberté ? (on espère que oui)
Mais il faut aussi confronter cette définition à des exemples limites qui viennent challenger le principe par leur absurdité : est-ce qu'un humain peut refuser qu'on lui prélève un rein au nom de la Liberté ? est-ce qu'un détenu peut réclamer de sortir de prison, au nom de la Liberté ? etc.
Commençons par voir comment ce principe pourrait répondre aux quelques cas absurdes que j'ai mentionné contre le principe, naïf, de ne pas nuire à autrui : Keira Knightley, Airbus et les esclaves.
Une bonne définition de la liberté et de la nuisance devrait normalement autoriser Keira Knightley à coucher avec qui elle veut et m'empêcher de la contraindre. Ça devrait autoriser Airbus à sortir des avions même si ça fait chier Boeing. Et ça devrait autoriser les esclaves à s'échapper.
Si Keira Knighley couche avec un autre homme que moi, elle jouit du droit (droit-liberté dans ce sens) de "coucher avec qui on a envie tant qu'il est consentant". Est-ce que jouir de ce droit, m'ôte la capacité de l'exercer de mon côté ? Non. Je peux toujours coucher avec qui j'ai envie tant qu'il est consentant (et ça pourrait même inclure Keira si elle n'est pas en couple exclusif). Keira peut donc coucher avec qui elle veut, au nom du principe de Liberté (ouf)
Si moi je décide d'empêcher Keira de coucher avec un autre homme, car ça me rend jaloux (donc ça me nuit), je vais la priver du droit-liberté de "coucher avec qui on a envie tant qu'il est consentant". Mais moi-même, je possède toujours ce droit. Donc j'ai diminué Keira dans ses droits, par rapport à moi. Cette action n'est donc pas justifiable au nom du principe de Liberté (ouf).
Si Airbus sort un nouvel avion, il jouit de son droit de "tenter sa chance sur le marché de l'aviation". Et Boeing peut toujours aussi tenter sa chance sur le marché de l'aviation. Donc Airbus agit bien au nom de la Liberté.
Si Boeing empêche Airbus de sortir un avion car "ça lui nuit", il prive Airbus de ce droit mais Boeing, lui, le conserve. Donc Airbus est diminué par rapport à Boeing dans la jouissance de ses droits => contraire à la liberté.
Si un esclave s'échappent, il jouit de son droit d'aller où il veut et d'exercer la profession qu'il souhaite contre rémunération. Le maître possède toujours ce droit aussi.
Mais en s'échappant, l'esclave prive le maître du droit de "disposer de son esclave comme il l'entend". Sauf que (c'est là que c'est puissant) l'esclave, lui, ne possède pas ce droit là, donc le maître est bien diminué d'un droit, mais il n'est pas diminué "par rapport" à l'esclave. Donc l'esclave agit bien conformément au principe de Liberté.
Ça marche assez bien jusque là.
Reprenons maintenant l'expérience de pensée avec la pierre qui me tombe dessus et que je dois éviter ou non en sachant qu'en l'évitant je condamne le compère derrière moi.
En évitant la pierre, je jouis de mon droit-liberté de "sauvegarder ma vie par tous mes moyens". Est-ce que mon compère derrière peut toujours, lui aussi, jouir de ce droit ? En somme oui, il peut sauvegarder sa vie par tous ses moyens, juste ... il n'en aura pas les moyens car il n'aura pas le temps de réagir.
On pourrait dire que je lui hôte le droit-créance "d'être en sécurité". Mais, je ne possédais plus, moi-même, ce droit-créance lorsque le rocher me menaçait. Donc je n'ai pas diminué les droits de cette personne, par rapport aux miens.
Ça ne marche pas complètement non plus
Mais tout ceci semble dépendre de comment on verbalise nos droits. Ce qui est en partie subjectif.
Par exemple, quelqu'un pourrait dire qu'il est libre d'interdire aux homosexuels de se marier. En effet, ce faisant, il les prive du droit de "se marier entre personne de même sexe". Or il ne possède pas non plus ce droit (il s'en fout il est hétéro), donc les homosexuels ne sont pas diminués d'un droit par rapport à lui.
Sauf que, on pourrait aussi avoir la lecture qu'il les prive d'un autre droit : celui de se marier avec la personne qu'on aime. Et ce droit là, il le possède bien, lui. Donc il diminue les homosexuels d'un droit par rapport à lui.
Je trouve cet exemple intéressant car il pointe peut être le vrai fondement de l'opposition au mariage homosexuel : le fait que des gens pensent que "l'amour" entre des homosexuels n'est pas du même niveau que celui entre un homme et une femme. Auquel cas ces gens ne verraient pas de fondement à dire qu'ils empêchent des gens de se marier avec la personne qu'ils aiment, car ils nieraient qu'il s'agit d'amour.
Est-ce qu'on peut enfermer quelqu'un en prison, conformément au principe de Liberté ? Nous allons le priver du droit d'aller où bon lui semble, alors que nous (la société), nous possédons toujours ce droit. Sommes-nous libre de faire ça ? On dirait que non.
Mais on pourrait arguer qu'il est faux de dire que nous possédons, nous-même, le droit d'aller où bon nous semble. En fait nous avons seulement le droit "d'aller où bon nous semble du moment que l'on n'a pas enfreint la Loi". Donc en l'enfermant (s'il est attesté qu'il a enfreint la loi), nous lui retirons un droit (allez où bon nous semble), mais que nous ne possédons pas nous même. Et le droit que nous possédons (allez où bon nous semble tant qu'on n'a pas enfreint la loi), il l'a toujours. Il n'est donc pas diminué par rapport à nous même. Nous n'avons donc pas violé sa Liberté.
Le fait de mettre une condition suspensive (aller où bon nous semble SI on n'a pas enfreint la loi), dans la verbalisation d'un droit, est quand même un peu bizarre et semble pouvoir ouvrir à la porte à moulte abus.
Est-ce que des hommes peuvent priver les femmes du droit de vote sans entammer leur Liberté ? Peuvent-il dire un truc du genre "nous leur retirons le droit de voter en étant une femme", mais ce n'est pas injuste car nous-même, nous n'avons pas le droit de voter en étant une femme. Donc nous ne leur retirons rien par rapport à nous.
On pourrait arguer qu'ils ont privé les femmes du droit de "voter tout court" alors que eux, le conserve. Ils disent pourtant qu'ils ne possèdent pas non plus ce droit, ils ont seulement le droit de "voter si on est un homme" et les femmes aussi l'ont.
Mais on pourrait aussi formuler ça comme une histoire de "droit de voter des lois qui vont concerner les personnes de sexe féminin". Et là on voit que les hommes l'ont toujours, mais plus les femmes. Il y a donc eu privation de Liberté.
Mais alors, peut-on interdire le droit de vote aux enfants ? J'ai l'impression que non (ils seront privés du droit de voter des lois qui vont concerner les enfants). Or ça semble plutôt souhaitable.
En fait cet exemple est intéressant, car il me semble montrer aussi que tous les sujets ne sont pas tous des affaires de Liberté. En fait le problème de retirer le droit de vote aux femmes est un sujet relevant plutot du principe d'égalité que de celui de liberté.
Et par contre, via le principe d'égalité, il semble tout à fait possible de dire que priver les femmes du droit de vote est illégitime alors qu'en priver les enfants est légitime.
Nous avons vu comment savoir si un acte respecte le principe de Liberté. Définie comme ceci, la Liberté n'est pas un état. Il n'y a pas vraiment de sens, avec cette définition, de dire que quelqu'un est "libre".
Par exemple, quand l'esclave, en s'évadant, retire au maître le droit de "disposer de son esclave", le maître a été diminué dans ses possibilités, il subit une contrainte supplémentaire (il ne peut plus utiliser son esclave), mais nous avons vu que le principe de Liberté n'a pas été violé.
Donc s'il y avait du sens à dire que le maître était libre, il ne l'est pas moins après cette diminution de ses droits/capacité et l'augmentation de ses contraintes.
Admettez que c'est quand même étrange par rapport aux définitions précédentes. La notion de liberté, ici, semble davantage concerner des actes (qui seraient conformes ou non conformes au principe de liberté) que des gens. On ne sait pas exactement où l'on devrait mettre l'adjectif de "libre".
Si l'on dit que quelqu'un est "libre" tant qu'il n'a pas subi un acte qui diminue ses droits par rapport à autrui. Alors quand ça lui arrive, il devient moins libre. Mais du coup la liberté d'un individu demeure un gradient. Personne n'est complètement libre et personne n'est pas du tout libre.
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